La Fée Azurine avait été chargée de dessiner le rivage. Il lui suffisait pour cela d’avancer de son pas grâcieux : au contact de ses pieds nus, l’eau et la terre se séparaient docilement et définitivement derrière elle.
C’est ainsi qu’elle avait débuté par un coup de maître en dotant la Provence de celle perle qu’on nommerait plus tard Côte d’Azur. Elle venait précisément de parachever son chef-d’œuvre en lui ajoutant toute une série de nouveaux fleurons : la baie de Bandol, la plage des Lecques, le golfe d’Amour, les Calanques de Cassis, ainsi que la rade et la minuscule anse qui feraient un jour la fortune de Marseille. Et maintenant, elle se reposait, la tête tournée vers le ciel et les pieds tendus vers le Nord. Alors le géant Alpus se déchaussa, s’allongea contre elle, et seules les étoiles scintillantes et la lune toute neuve furent témoins de ce qui se passa pendant la nuit.
Le réveil d’Alpus
Au matin naissant, Alpus se réveilla le premier. Il chaussa les bottes, mais avant de quitter la belle endormie, de ses mains gluantes de boue, il caressa une dernière fois son corps, longuement, depuis le front jusqu’à la pointe des pieds…
Une fois debout, il secoua l’une après l’autre ses bottes : la première motte s’en alla former le volumineux mamelon baptisé Ruissatel, mais en cours de trajectoire, il s’en détacha une parcelle qui, en se posant, prit la forme d’un Bec Cornu; la seconde se disloqua, elle aussi, en plusieurs tronçons qui donnèrent respectivement le Taoumé, Tête Rouge, Tête Ronde.
Puis, il s’éloigna, sans attendre le réveil d’Azurine… Mais Azurine ne devait jamais se réveiller. Aux premiers rayons du soleil, la boue dont sa peau avait été enduite sous les caresses du géant se mit à sécher, puis à durcir. Et la malheureuse, soudainement pétrifiée, se trouva à tout jamais captive de cette gangue déposée dans un geste d’amour. L’eau et la terre désormais livrées à elles-mêmes, il en résulta cette côte informe et marécageuse qui s’étend à l’ouest de Marseille.
La Fée infortunée
Voilà pourquoi, au déclin du jour, les habitants du terroir contemplent parfois d’un regard attendri cette crête de l’Étoile où depuis des millénaires, la fée infortunée repose telle une momie. On voit se découper nettement sur le ciel serein la gracieuse ligne de son corps : le fin profil de son visage (le sommet du Garlaban), l’émouvante courbe de sa poitrine (le Plan de l’Aigle), et se prolonger jusqu’à la pointe du « Marseillais » qui, là-bas, au bout de la chaîne, figure ses pieds,
Cette histoire n’est pas de moi; cette légende a alimenté pendant des générations les veillées au coin de l’âtre les soirs d’hiver dans notre belle région, et même certainement au-delà.